Les réalisations monumentales
Introduction
A ce jour sont répertoriés plus de 80 lieux de réalisations monumentales signées Francis Pellerin, dont 43 en Ille-et-Vilaine, 16 dans le Morbihan, mais aussi à Caen, Laval, Bordeaux, ou Decazeville. « La sculpture est un art de plein air. La lumière du jour, celle du soleil lui est nécessaire », disait Henry Moore. Bon nombre d’entre elles ont pu voir le jour grâce à une décision d’après-guerre (1951) de consacrer 1% du coût total de la construction des bâtiments scolaires et universitaires à des travaux de décoration.
Dès son séjour à Rome, à la Villa Médicis (1946–1948), Francis Pellerin engage un dialogue créatif avec les architectes en résidence, dont Guillaume Gillet, Raymond Gleize et Jean Dubuisson. A la reconstruction, il est sollicité, entre autres, par Louis Arretche, Henry Auffret, Louis Chouinard, et Jean Lemercier. Et il entretiendra une « amitié artistique » avec les architectes Yves Guillou et Yves Perrin.
Armel Pellerin, architecte lui-même, témoigne :
Son atelier était un laboratoire de formes où il développait dessins, esquisses et maquettes avant de les présenter aux architectes… Une fois le projet choisi, il savait le développer, le mettre à l’échelle, et le défendre avec conviction… C’est la qualité et la fiabilité de son engagement dans les projets qui seront la clef de la fidélité des architectes.
Les matériaux utilisés pour les réalisations monumentales sont variés : le métal pour des œuvres comme celles du musée de Rennes, ou bien l’Anascope à l’Inspection académique de Rennes, et Forme à Rêver à l’Établissement français du sang de Rennes; des réalisations en bois à la poissonnerie de Saint-Malo, à l’église de Caudan, à l’église Saint-Yves à Rennes et pour la claustra de la CPAM à Rennes; la pierre, tant pour des décorations murales comme celle du casino de Saint-Malo ou celle du centre culturel Le Triangle à Rennes que pour des bas-reliefs tels ceux de l’ancienne caisse d’épargne à Caen. La pierre encore, pour des formes en ronde-bosse au collège Rosa Parks de Villejean, à Rennes, comme ce galet de 3 mètres de haut, polychrome. L’échelle d’autres réalisations pouvait nécessiter un appareillage de plusieurs blocs de granit, comme par exemple à l’école de chimie, ou au lycée Pierre Mendès France, à Rennes.
Citons enfin quelques réalisations en tapisserie, dont celle exécutée pour le collège de Retiers, en Ille-et-Vilaine.
Monique Merly, philosophe, dira à propos de Francis Pellerin :
Le contexte architectural lui paraît incontournable lorsqu’il s’agit de réaliser une sculpture monumentale, et cela devient pour lui l’occasion de repenser ce qui constitue l’échelle d’une œuvre : non pas seulement la proportion – même adéquate – mais ce qui conditionne la lisibilité de l’œuvre et par conséquent sa vérité – quel que soit le lieu d’où on la regarde.
Domitille d’Orgeval, historienne de l’art, souligne dans son article « l’abstraction de Francis Pellerin, une sensibilité géométrique » :
Pour ce dernier, seule cette tendance à l’abstrait, avec son répertoire de formes rationnelles, sa dimension constructive universelle et humaniste, était envisageable dans l’aspiration à établir un dialogue entre les arts et l’architecture. Ainsi, avec une intelligence subtile, Francis Pellerin, de l’espace du tableau à celui de la sculpture a affirmé sa maîtrise de l’ordre géométrique en s’imposant ,des années 1950 à la fin des années 70 , comme artisan majeur de la modernité en Bretagne.
Description, rapide, des étapes d’une réalisation monumentale de type 1 % :
- Rencontre, à l’atelier Francis Pellerin, avec un architecte demandeur fournissant des plans, un descriptif de son projet architectural et le chiffrage de l’enveloppe budgétaire pour un projet de décoration. Échange sur des possibles œuvres à réaliser à l’aide de maquettes présentes dans l’atelier
- Travail d’investigation sur le terrain pour localiser l’œuvre dans l’espace, envisager son échelle, le matériau à utiliser
- Recherches, études avec photomontages et contacts avec artisans, ingénieurs pour mesurer la faisabilité des projets. Dialogue avec l’architecte sur l’avancée des propositions
- Construction d’un dossier argumentaire, accompagné d’une maquette, présenté à une commission de validation (ex : celle du service de la création artistique des affaires culturelles à Paris)
- Établissement d’un arrêté préfectoral d’agrément
- Établissement d’une convention avec la direction départementale de l’équipement, précisant la mission, le montant de la rémunération, l’échelonnement des règlements et le délai d’exécution de l’œuvre
- Réalisation de maquettes précises avec des plans de coupe, des plans d’assemblages et des dessins cotés permettant aux entreprises de chiffrer sa prestation et de réaliser la mise en forme principale et la mise en place de l’œuvre
- Suivi des étapes de réalisation par les entreprises. Francis Pellerin se charge, avec ou sans l’aide d’assistants (issus de son atelier aux Beaux-Arts) d’effectuer la finition de l’œuvre au moment de son installation
- Réception des travaux
Les dossiers de réalisations monumentales (consultables aux archives municipales de Rennes – Référence 60Z) montrent que le plus souvent, il faut compter deux à trois ans entre les premières traces écrites et la clôture dudit dossier. Parfois, comme à l’école de chimie de Rennes, il faudra attendre plus de 6 ans !
Deux réalisations exemplaires
Le Stabile du Pargo, au lycée Jean Guéhenno à Vannes (architecte Yves Guillou), est une œuvre monumentale de 7 mètres de haut réalisée en 1964. Elle est visible depuis la rue, au 79 avenue de la Marne. Il s’agit là d’une œuvre monumentale d’art construit dont Francis Pellerin parlait avec passion.
Il écrivit en 1991, à son propos :
Le réel contingent se présente à moi sous la forme du vent… un signal à ériger avec l’ hypothèse de vents pouvant atteindre 150 km/ heure. Mes structures déployées ont été sur-déployées résolvant ainsi un problème d’ingénierie. En sur-déployant j’ai rendu les formes transparentes; le vide et l’espace sont venus à moi… jusque là j’avais exprimé la forme, l’espace, le mouvement, l’immobile… du vide et de l’absence, je rencontrais la présence d’une FORCE jusque dans les retours.
Francis Pellerin réalisera en 1965 à Brest un signal de 7,57 m, un « hymne à la science » visible depuis l’avenue Victor Le Gorgeu.
L’église Saint-Yves, rue de Nantes, à Rennes (architecte Yves Perrin). Pour la visiter, téléphoner au presbytère sur les heures de permanence, le mardi et le mercredi, de 16h30 à 18h30, ou venir quelques minutes avant la célébration dominicale de 10 h 30.
Il s’agit d’une église emblématique à plusieurs titres :
- première des douze nouvelles églises de Rennes, après la guerre. Le concours de 1956 demandait de concevoir un édifice de 800 places, un édifice « prestigieux, innovant, en harmonie avec le développement du faubourg de Nantes », tout cela au moindre coût !
- première église issue de la collaboration Perrin–Pellerin. Celle-ci se poursuivra avec l’église Saint-Clément (quartier Cleunay, 1962), l’église Saint-Laurent (quartier Maurepas, 1963), et l’église Saint-Benoît (quartier du Blosne en Zup Sud, 1971).
- édifice qui constitue un manifeste de la démarche esthétique et spirituelle de Francis Pellerin, raison pour laquelle Suzanne Pellerin a souhaité que les obsèques de son mari y aient lieu en 1998. Au moment du projet de construction, Francis Pellerin est imprégné de l’avant-garde russe. C’est un lecteur attentif de la revue d’art sacré du Père Couturier. Il est lecteur tout aussi attentif des revues Art d’aujourd’hui et Architecture d’aujourd’hui. Il habite Rennes, mais a toujours son atelier rue du Moulin-de-Beurre (aujourd’hui détruite), dans le 14ème à Paris, à côté de ceux d’Emile Gilioli et de Ossip Zadkine. Il a côtoyé à la Villa Médicis des architectes de renom. Il connaît la chapelle Notre-Dame Du Haut (Ronchamp), ainsi que le couvent Sainte-Marie de La Tourette (Eveux), deux œuvres majeures de Le Corbusier. Ainsi, dans l’esprit de la synthèse des arts, il crée, de connivence avec Yves Perrin, un « climat de formes, de signes et de couleurs, propices à la prière, à la méditation ».
Les travaux débutent en mars 1957 et la bénédiction par le Cardinal Roques a lieu en mai 1958. Francis Pellerin a installé une porte en bois polychrome, de composition abstraite et géométrique, des vitraux, un baptistère, un autel en ardoise, un Christ en bois, une vierge et un Saint Yves, en sus d’un chemin de croix abstrait en bois polychrome. A leur sujet, Francis Pellerin parle d’« idéogrammes susceptibles de servir la méditation ». « Ces idéogrammes veulent être mise en mouvement intérieur. A chacun de concentrer son attention, d’activer son imagination ».
C’est le premier chemin de croix à comporter une quinzième station, celle de la Résurrection !
Francis Pellerin, lecteur de Saint Paul, citerait :
Si le Christ n’est pas ressuscité des morts, alors notre prédication est vide, vide aussi notre foi.
Notons que l’intérieur de l’église Saint-Yves a subi des modifications en 1994 et 1998 : suppression de la nef latérale, avec son autel, ses confessionnaux et les panneaux en verre s’escamotant dans le sol (cloison innovante pour une célébration avec 100 paroissiens). Par ailleurs, un nouvel autel a été installé dans la nef centrale, ce qui nuit quelque peu à la lecture de la cohérence esthétique pensée par Perrin et Pellerin.
NB : Travaux en cours jusqu’à septembre 2024
Voir l’article d’Henri Terrière du 22 avril 1958 Ouest France.